L'histoire passionnante de la douane en France

L'histoire passionnante de la douane en France

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La douane telle que nous la connaissons aujourd'hui se définit comme une administration en charge de la perception de droits imposés sur la circulation des biens, à la frontière du pays. La douane contrôle et vérifie les marchandises qui entrent ou sortent du territoire et réprime l'importation ou l'exportation de produits prohibés.
 
Tout au long de son histoire, laquelle remonte à l'Antiquité, l'action douanière a connu de nombreuses remises en question, avec des systèmes d'imposition parfois injustes et impopulaires. Alternant souvent entre protectionnisme et libre-échangisme, entre volonté de défendre le commerce national et des velléités de commercer hors des frontières, la douane s'est construite par étapes. La mise en place progressive des règlements douaniers ont suivi la progression et la construction de l'Etat et certains règlements douaniers actuels trouvent leur origine dans les ordonnances de l'époque du colbertisme.
 
Si, au début de son histoire, le rôle des douanes concernait principalement la taxation des biens, la gestion des douanes a évolué et elles se sont progressivement structurées pour assurer aux gouvernements la maîtrise et le contrôle des frontières - qu'elles soient terrestres, maritimes ou aériennes. La douane aujourd'hui agit à la fois comme soutien de l'activité économique du pays et est garante du respect du paiement des taxes légales. La douane française exerce par ailleurs un rôle de protection des citoyens français contre les trafics criminels.

Organisation de la douane dans l'Antiquité

 
L'action douanière pourrait avoir des origines très lointaines et l'on trouve déjà des systèmes permettant de réguler les échanges de biens entre l'année -3500 avant J.C. et + 750 après JC.
 
Dans l'Antiquité, les collecteurs d'impôts participaient déjà au financement des caisses de l'Etat et certains types de biens ne pouvaient être exportés pour garantir que la population ne se retrouve face à une pénurie des marchandises les plus essentielles comme les produits alimentaires.
 
Grecs et Romains avaient déjà mis en place une fiscalité avec l'arrivée du commerce et des échanges de marchandises. L'impôt chez les Grecs et les Romains pouvait servir à l'entretien des voies commerciales et au fonctionnement de la Cité. Il était calculé sur la valeur des biens importés et le pourcentage retenu était payé à des employés issus de compagnies privées. C'est aussi le début des pratiques d'affermage qui perdureront jusqu'à la fin du 18ème siècle à travers le monde. Il s'agit de décharger des marchandises en vue de les inspecter. La valeur des biens est évaluée pour calculer le pourcentage. Cette pratique s'applique à tous les propriétaires de biens transportés, même aux plus hauts personnages.
 
La première administration douanière gallo-romaine apparait dans les années 50 avant JC. C'est lors de la conquête de la Gaule que les Romains instaurent des droits de douane avec des postes douaniers qu'on appelle Portoria. Les droits de douanes concernant la circulation sur le territoire de la Gaule sont appelées « Quarantièmes des Gaules » pour les distinguer des autres portoria de l'Empire Romain. A ce moment là, il est davantage question de droits de circulation que d'impôts calculés sur la valeur des marchandises.

L'évolution de la douane entre Moyen Âge et fin de l'Ancien Régime

 
Pendant son règne (742-814), Charlemagne met de l'ordre dans le fonctionnement de la perception des péages car les impôts frontaliers sont devenus anarchiques après la chute de l'Empire romain. La perception des routes, des ports, des fleuves et des ponts et réorganisée et ces impôts portent alors le nom de « tonlieux ».
 
Ces tonlieux sont gérés par des puissances féodales et non plus par la royauté lors de l'éclatement de l'Empire carolingien. Des inégalités apparaissent avec des franchises d'impôts et des régimes privilégiés pour certains tandis que d'autres connaissent la multiplication des taxes.
 
Sous le règne de Philippe le Bel (1268 – 1314) l'interdiction de certaines importations, qui a commencé dès le Haut Moyen Age, va se poursuivre et représenter pour ce souverain une véritable arme économique face aux ennemis. Le Maître des Ports et Passages a toutefois la possibilité d'accorder des dérogations et ceux qui ont alors le droit d'exporter peuvent bénéficier dès 1304 d'un droit dit de haut-passage.
 
Son successeur Charles IV (1294-1328) mettra également au point un certain nombre de taxes sur les exportations de marchandises comme le vin, la viande ou le poisson. C'est encore lui qui instaure le droit de Rêve (recette) qui s'applique sur ce type de marchandises et le droit de traite Foraine qui est applicable sur le commerce extérieur des marchandises. Le droit de traite sera une terminologie généralisée par la suite pour désigner l'ensemble des droits de douane.
 
La rétention du Monarque Jean le Bon par les Anglais après la bataille de Poitiers et la demande d'une rançon astronomique pour la liberté du souverain va entrainer la mise en place de nouveaux impôts. Des frontières intérieures sont créés et le roi doit désormais respecter les privilèges (ou lois spécifiques à ces provinces). Deux groupes de territoires vont alors se distinguer entre le pays d'Oil d'une par et le pays d'Oc d'autre part : chacun ayant un système d'imposition différent et des droits étant perçus à leurs frontières au même titre que les impôts perçus aux frontières extérieures.

L'avant et l'après Colbert

 
Entre 1492 et 1663, le fonctionnement de l'affermage bat son plein mais plusieurs services peuvent intervenir lors d'un dédouanement si les marchandises prises séparément sont soumises à des droits spécifiques à chacune. Une nouvelle politique commerciale voit le jour en encourageant davantage les échanges tout en assurant la protection des manufactures nationales.
 
C'est Sully qui instaure en 1607 un Règlement Général sur les traites afin d'harmoniser les suivis administratifs. Bien qu'il ait tenté de rallier les provinces dites étrangères aux « Cinq Grosses Fermes » afin de reformer l'intégrité du royaume, ce sera un échec cuisant.
 
La France reste divisée en 3 zones :
 
  • Les Cinq Grosses Fermes (sous l'autorité royale) ;
  • Les provinces réputées étrangères appartenant au Royaume mais traitées comme provinces étrangères ;
  • Les provinces formant des zones franches : ce sont des provinces qualifiées à l'époque « à l'instar de l'étranger effectif ».
Nombreux droits sont perçus avec des appellations souvent farfelues et c'est dans ce contexte général que Colbert va désormais œuvrer pour apporter de nouveaux changements.
 
Colbert, fondateur de la douane moderne
 
Nommé Contrôleur Général des Finances par Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) trouve son inspiration dans la doctrine mercantiliste. Pour lui, il est plus important d'exporter les bons produits favorisant la richesse du pays et de limiter les importations.
 
Selon Colbert, l'augmentation des échanges est important pour le pays et il faut abolir les douanes intérieures. En outre, l'Etat intensifie son aide à la marine marchande. Les produits extérieurs sont surtaxés et le commerce avec les colonies est le domaine réservé du pavillon français.
 
Colbert s'attache aussi à aider les industries nationales pour rendre les productions de la nation plus compétitives face aux concurrents voisins comme l'Angleterre ou la Hollande. Il n'hésite pas à mettre en place des subventions pour aider les manufactures locales et à les exempter de taxes fiscales.
 
Le colbertisme passe par un renforcement du protectionnisme des manufactures françaises et la mise en place entre 1664 et 1667 d'un tarif douanier national qui signe l'abolition des droits de douanes intérieurs.
 
Les ordonnances de 1681 et 1687 codifiant le droit douanier de l'époque sont à l'origine de la législation des douanes d'aujourd'hui.

La Ferme Générale au XVIIème - XVIIIème siècle

 
Entre 1680 et 1789, une compagnie de financiers appelée Ferme Générale récoltait la moitié des recettes publiques en France. Elle tire son nom de l'affermage puisque les droits de douanes (ou droits de Traite) et les droits indirects sont affermés par bail de 6 ans à cette compagnie de financiers.
 
Parmi les droits indirects de cette époque, l'impôt sur le sel ou Gabelle. Mis au point par Philippe VI par les ordonnances de 1341 et de 1343, cet impôt très impopulaire et considéré comme le plus injuste de l'Ancien Régime ne sera aboli qu'à la Révolution. La disparité des régimes de Gabelle entrainait beaucoup de phénomènes de contrebande et il fallait surveiller les greniers à sel et d'autres endroits : c'était le rôle des Gabelous (douaniers percevant la Gabelle) qui réprimaient sévèrement la contrebande et interceptaient les vendeurs de faux sel qu'on appelait les faux sauniers.
 
Cette compagnie puissante que représente la Ferme Générale est constituée de 25 000 agents et compte 42 directions en province. Très structurée, elle dispose de « bureaux » et de « brigades », les bureaux s'occupant principalement de percevoir les droits et taxes, tandis que les brigades font un travail de prévention et de répression face aux phénomènes de contrebande. Ces derniers sont d'ailleurs armés.
 
A l'époque les Fermiers Généraux se constituent d'importantes fortunes et profitent de l'endettement de la Monarchie. Ils sont de plus en plus mal vus par le peuple et les littérateurs n'hésitent pas à se moquer d'eux. Les brigades emploient souvent la force mais ils ont aussi devant eux des contrebandiers souvent armés. Ils ont cependant le soutien du Roi tandis que le peuple n'en peut plus de supporter la gabelle qu'il considère comme un impôt particulièrement injuste.

1791 : création de la Régie Nationale des Douanes

 
Après la Révolution Française, la Ferme Générale est abolie pour faire place à l'administration des douanes moderne. L'assemblée constituante adopte aussitôt la suppression de la Gabelle, la suppression des frontières intérieures et la résiliation du bail le 21 mars 1791.
 
Le 23 avril 1791, la Régie Nationale des Douanes, administration d'Etat, est constituée avec 15 000 agents. Ces agents sont des « préposés à la police du commerce extérieur ».
 
Cette création est assortie de la mise en place d'outils de fonctionnement douaniers que sont : le tarif des droits de douanes et le code des douanes qui recense les procédures en vigueur.

1812 : création du Ministère du Commerce et des Manufactures

 
Entre 1791 et 1815, la prohibition est la norme des gouvernements et le protectionnisme est à son apogée avec le blocus continental. En France, l'expansionnisme étend le territoire créant un empire de 130 départements sur lesquels travaillent 35 000 douaniers.
 
En 1812, L'Empereur Napoléon 1er crée le Ministère du Commerce et des Manufactures. La douane est rattachée à ce ministère et s'organise militairement avec une présence sur des Etats satellites comme Genève, la Hollande, Rome et jusqu'à Dantzig…

Du protectionnisme (1815-1860) au libre échangisme (1860-1870)

 

Douane et protectionnisme (1815 - 1860)

 
C'est surtout en 1815 que le protectionnisme s'installe durablement avec l'instauration de droits de douanes élevés et des prohibitions plus importantes notamment avec Pierre de Saint-Cricq et Thérodore Gréterin. L'objectif est de protéger les entreprises nationales et surtout le secteur agricole et l'industrie. La surveillance et le contrôle douaniers s'accentuent dans le territoire et jusqu'à 20 km au-delà des frontières.
 
Organisée en deux services que sont les bureaux et les brigades, la douane de cette époque fonctionne un peu comme la Ferme Générale. Dans les bureaux, les douaniers s'occupent pour l'essentiel de taxation tandis que dans les brigades, un système de surveillance et de répression est mis en place et les agents de cette branche sont toujours armés et sont biens souvent recrutés auprès d'anciens militaires ou de fils de douaniers. En revanche, la plupart des cadres supérieurs de l'administration se trouvent dans le service des bureaux.
 
C'est à cette époque qu'une structuration des agents de douanes commence à voir le jour avec la réglementation des modes de recrutement du personnel ainsi que des modalités d'avancement dans la profession mais aussi avec la mise en place de régime de congés et de pensions de retraite pour les douaniers.
 
Avec l'arrivée de Napoléon III, on assistera au XIXème siècle à un changement net de la doctrine économique.
 

Douane et libre-échangisme (1860 - 1870)

 
L'arrivée du Second Empire et la nomination de Napoléon II (1808-1873) signent l'arrivée du libre-échangisme avec comme principe de base le traité franco-anglais de 1860. L'organisation des échanges se veut plus souple et cela tombe au moment où la révolution industrielle bat son plein et multiplie les échanges. Les tarifs à l'importation sont assouplis et les contrôles réduits.
 
A l'époque Jacques Boucher de Perthes (1788-1868) alors directeur des douanes dans la Somme, à Abbeville, encourage vivement cette évolution.
 
Si les frontières bougent régulièrement sur le sol français (exemple : annexion de Nice et de la Savoie en 1860 et perte de l'Alsace en 1871 notamment), l'expansion du territoire se fait en Outre-mer et est géré dès 1830 par le ministère des finances. La douane s'installe par ailleurs dans les colonies (Algérie, Tunisie, Maroc, Indochine…) entre le XIXème et le XXème siècle et des fonctionnaires sont envoyés sur place afin d'encadrer des douaniers locaux.

L'évolution de la douane en France sous la Troisième République

 
Pendant la Troisième République (1870 – 1940) les partisans du protectionnisme s'opposent au libre-échangisme et c'est finalement le protectionnisme qui revient en force en 1892.
 
En 1880, les douaniers sont des quasi-militaires et reçoivent un drapeau. Ils formeront lors de la Grande Guerre les remarqués « Bataillons Douaniers ».
 
La grande réforme de 1908 marque un nouveau tournant dans la douane où l'avancement dans le métier se fait dorénavant par concours. De plus, en 1910 face aux changements technologiques et à l'importance pour la France de s'adapter à de nouveaux défis, un tarif douanier tout nouveau est mis en place pour intégrer de nouveaux types de produits (exemple : produits chimiques ou électriques).

L'œuvre des Bataillons Douaniers pendant la Grande Guerre

 
Pendant la Première Guerre Mondiale et dès 1914, 19 000 personnes issues de brigades des douanes sont regroupées en bataillons douaniers afin de sécuriser les frontières du pays face à l'ennemi. Eclaireurs, puis dès 1915 chargés de missions spéciales pour l'armée française, les bataillons douaniers occupent une place cruciale par leurs missions d'espionnage et de renseignement. Ces hommes de première ligne ont, pour beaucoup, laissé leur vie dans ces missions et l'on a recensé 1 421 douaniers morts au champ d'honneur et 1 855 d'entre eux revenus blessés. L'Etat Français attribue des décorations à ceux qu'il désigne du titre de « combattants » et qui défileront le 14 juillet 1919 sur les Champs-Elysées avec les autres militaires.

Dissolution des Bataillons Douaniers lors de la Seconde Guerre Mondiale

 
Comme lors de la Première Guerre Mondiale, les bataillons douaniers sont à nouveau sollicités pour participer à la défense du pays dès septembre 1939. Ils participent aux combats de l'Armée Française jusqu'à la signature de l'armistice en juin 1940. Les bataillons douaniers seront alors dissous (décret du 27 juin 1940). Malgré cela, leur action s'est poursuivie pour protéger la France entre 1939 et 1945, soit en intégrant l'Armée de Libération ou encore en intégrant des mouvements de résistants.
 
Lors de la Seconde Guerre Mondiale, 326 douaniers sont morts au champ d'honneur. D'autres ont été déportés pour avoir vaillamment combattu pour la sécurité de la France.

Evolution de la douane dans l'après-guerre et jusqu'à nos jours

 
Depuis 1945 et jusqu'à aujourd'hui, le système douanier n'a cessé d'évoluer avec le développement rapide du commerce extérieur. La France a mis en place des règles de protection pour l'économie nationale. Le commerce extérieur s'est, non seulement accru, mais il s'est aussi diversifié. Comme tout va de plus en plus vite et que les échanges peuvent aller de plus en plus loin, le commerce international a étendu progressivement son champ d'action et il a bien fallu adapter la réglementation (contrôle de la qualité des produits importés et mise en place de normes de sécurité pour protéger le consommateur, contrôle des activités de commerce pouvant être dissimulées, notamment avec l'essor d'internet et du commerce en ligne, etc.).
 
Autre phénomène important : la disparition des frontières en 1993 à l'intérieur de l'Union Européenne. Si ce changement a entrainé des points positifs, rendant plus facile la circulation des personnes et des biens dans l'UE, il ne va pas sans un aspect plus contraignant qui est l'apparition de nouvelles menaces (trafics, terrorisme, préférences d'achats de biens provenant de l'étranger car parfois moins chers, etc.).
 
La création de l'Espace Schengen en 1985, par l'Union Européenne avec 26 états européens (22 états de l'UE, 4 états associés appartenant à l'AELE ou Association Européenne de Libre Echange) et le territoire de Gibraltar, constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice. Cet Espace Schengen est régit par des normes impliquant la suppression des contrôles frontaliers entre les membres de l'Espace Schengen. En revanche, les contrôles des frontières extérieures sont nettement renforcés.
 
Une politique commune dans l'Espace Schengen permet de mettre en place une harmonisation des contrôles aux frontières extérieures et une coopération judiciaire et policière transfrontalière.
 
Pour faire face à toutes les missions demandées aux services douaniers, c'est plus de 400 métiers qui sont proposés dans ce secteur aujourd'hui (exemple : agent enquêteur, pilote d'hélicoptère, marin des douanes, contrôleur programmeur des douanes, mécanicien des douanes, etc.). Les agents douaniers opèrent sur terre, en mer et dans l'espace aérien.
 
L'accès à la douane se fait par concours et permet d'accéder à l'un des statuts suivants : inspecteur des douanes et droits indirects, contrôleur des douanes, agent de constatation.
 
Les douaniers sont formés dans l'une des deux écoles de la douane française (Tourcoing ou La Rochelle).
Bibliographie :
 
L'administration des douanes en France de 1914 à 1940 – Auteur : Jean Clinquart

Douane, une longue histoire à déclarer – Auteur : Dominique Dussol

L'administration des douanes sous l'Ancien Régime – Auteur : Jean-Claude Boy et Association pour l'histoire de l'administration des douanes et des droits indirects

Contrebandiers du sel, la vie des faux sauniers du temps de la gabelle – Auteur : Bernard Briais

Gabelous et contrebandiers: Histoire Des Fermiers Généraux De Dijon - (1760-1780) – Auteur : Sébastien Evrard (Ed. L'Harmattan)

L'administration des douanes en France de 1914 à 1940 (Histoire économique et financière de la France) – Auteur Jean Clinquart

La Fortune du colbertisme : Etat et industrie dans la France des Lumières – Auteur : Philippe Minard (Ed. Fayard)